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Extrait
L'HABITATION

Avant, j'habitais en France. Ici aussi, c'est la France, enfin " les colonies ", l'île de la Martinique. Il ne fait jamais froid comme dans la vraie France, et tout y est plus grand : les arbres, les fruits. Il n'y a que moi qui suis petite. Mon grand-père dit à qui veut l'entendre : " Voilà deux ans que Lucie vit ici, et elle n'a pas grandi. "
Mlle Vaugelas, ma gouvernante, lui répond que tout le monde ne grandit pas de la même façon, que j'ai à peine onze ans et qu'il faut être patient, mais mon grand-père bougonne.
D'ailleurs, mon grand-père bougonne toujours. Il veut que je l'appelle " bon papa ", seulement c'est juste un nom : il n'est pas bon, et il n'est pas mon père.
À vrai dire, je ne l'aime pas beaucoup. Ce n'est certainement pas bien de penser des choses pareilles, mais tant pis. J'attends que mes parents reviennent me chercher. Quand viendront-ils ? Mystère. Ils sont trop occupés pour avoir du temps à me consacrer. Du moins, c'est la raison qu'ils donnent. Moi, je crains que ce soit parce qu'ils ne me trouvent pas intéressante. Ils m'ont d'abord confiée à une nourrice, puis à une grand-tante chez qui je m'ennuyais terriblement et, pour finir, ils m'ont envoyée ici, en Martinique, sur l'habitation : un grand domaine agricole qui appartient à mon grand-père.
- Lucie !
Ma gouvernante. Je fais comme si je n'avais pas entendu.
- Lucie ! Je sais que vous êtes dans votre chambre. Répondez, je vous prie.
Je me lève de ma chaise en poussant un soupir, j'entrouvre la porte et je réponds :
- Vous m'avez appelée, mademoiselle Vaugelas ? Je suis polie à l'extérieur mais, dans ma tête, je l'appelle toujours Camomille, parce que son prénom est Camille et qu'elle est aussi insipide qu'une tisane.
- Naturellement, je vous ai appelée ! Je descends faire des emplettes à Saint-Pierre. Je compte bien que vous ayez fini votre devoir de latin quand je rentrerai.
Du coup, je sors et je me penche sur la rampe de l'escalier :
- Je peux y aller aussi, en ville ?
- Vous savez que votre grand-père l'interdit. Les villes ne valent rien aux jeunes filles. Vous irez dimanche, pour la messe.
Je referme la porte en la claquant bien sec et je me rassois devant mon bureau.

Biographie de l'auteur
Évelyne Brisou-Pellen vit à Rennes. C est par hasard qu elle vient à la littérature par l écriture de contes puis de deux romans Le Mystère de la Nuit des Pierres et la Cour aux étoiles. Elle a reçu de nombreux prix comme le Grand Prix pour la Jeunesse. Figure majeure de la littérature jeunesse, elle publie chez de nombreux éditeurs. --Ce texte fait référence à l'édition Broché .